Vieillir amène son lot de problèmes parmi lesquels il faut compter le risque accru d'être atteint de radotage systémique. Sans être contagieuse, cette pathologie est très répandue chez ceux pour qui, paradoxalement, l'expérience acquise aurait dû, à l'inverse, produire un sens de l'analyse mieux développé et plus nuancé. Mais l'on met trop souvent dans le même panier ceux dont on dit qu'ils radotent et ceux qui contestent le fait qu'une nouveauté est meilleure que ce qui la précède tout simplement parce qu'elle est nouvelle. Ce sont alors plutôt les «progressistes systémiques» qui radotent, affirmant ad nauseam que c'est bon pour la seule raison que c'est neuf. Et l'on oublie également, parfois, de constater que ceux qui font preuve de peu d'intelligence dans leur grand âge sont souvent ceux qui n'en manifestaient pas davantage lorsqu'ils étaient jeunes.
Je garde cela à l'esprit avant de dire un mot au sujet de l'asservissement de plus en plus systématique de la pédagogie à la révolution informatique.
Certes, tout accroissement ou amélioration de l'arsenal technique dont peuvent disposer enseignants et professeurs pour donner leurs cours est en théorie une bonne chose, mais encore faut-il que l'on en fasse un usage judicieux, au risque d'employer l'une ou l'autre nouveauté d'une manière inappropriée. Or, on assiste trop souvent à de tels mésusages chez ceux qui cèdent sans réfléchir à l'envie d'avoir l'air à la mode, ou ne résistent pas aux pressions qu'exercent sur eux des gens qui «pensent» la pédagogie sans en avoir jamais pratiquer l'art.
Un enseignement réussi est le résultat improbable d'un ensemble de facteurs trop nombreux pour être comptés et appartenant à des sphères trop différentes pour qu'il s'agisse d'un sujet que des «spécialistes» peuvent maîtriser. Bien entendu, au départ, il faut quelques éléments fondamentaux. Un professeur qui maîtrise sa matière et un étudiant désireux d'apprendre forment certes une combinaison prometteuse. Si l'on peut exiger du premier qu'il remplisse cette condition, on doit également lui demander de pallier du mieux qu'il le peut à d'éventuelles défaillances de la motivation du second. Pour ce faire, on s'attendra à ce que le professeur propose un cours accessible et intéressant. Au-delà de cette limite cependant, l'étudiant doit participer à son propre cursus. Un enseignement ne s'impose pas si l'étudiant refuse d'y concourir activement.
Le premier élément qui compose un cours «intéressant» est l'amour que porte le professeur à la matière qu'il enseigne. Cela se transmet implicitement et constitue la base d'un cours réussi. Cet intérêt n'a nul besoin de supports pour se manifester et l'usage d'outils pédagogiques n'en compensera jamais l'absence. Le mauvais professeur qui se cache derrière ses gadgets à la mode est l'un des pires scénarios que l'on puisse imaginer.
À moins de donner un cours en informatique ou dans une matière pour laquelle l'usage d'appareils électroniques constitue le coeur de l'apprentissage, aucun professeur n'a besoin, pour donner un «bon» cours, de plus d'outils que d'une craie et d'un tableau, et il pourra même enseigner durant une panne d'électricité...
Une fois cela admis, les dépenses que l'on consent en outillage informatique pour l'éducation pourrait faire l'objet d'examens plus convenables. Dans l'ordre des priorités d'investissement, cela n'apparaît pas sur la première page et les sommes dilapidées dans ce gouffre auto-obsolescent confinent au scandale.
Aujourd'hui cher Yvon, nous en sommes rendus à la promesse d'un portable pour chaque prof... Tu dénoncerais sûrement cette absurdité. Si tu savais comme je me sens seul avec ma craie et ma clope. Nos débats me manquent. Nous étions rarement d'accord mais combien nos échanges étaient fair-play.