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Yvon Corbeil

L'«holocauste des animaux», vraiment?

Dans une critique littéraire flatteuse d'un ouvrage qui semble parler de nous (1), l'auteure utilise le terme d'holocauste dans la locution «holocauste des animaux» pour décrire le sort que nous réservons aux animaux dont nous nous nourrissons. Or, ce terme a un sens qui devrait nous retenir de l'employer pour un tel usage.


Dans l'Antiquité, l'«holocauste» est le sacrifice d'un animal que l'on consume entièrement dans le contexte d'un rituel religieux. Plus récemment, on a utilisé ce terme pour désigner la folie sanguinaire nazie visant principalement, mais pas uniquement, les Juifs. (Dans ce dernier cas, on préfère plutôt, désormais, le terme de «Shoah».). Pour l'un comme pour l'autre l'idée demeure d'un «sacrifice» d'êtres vivants, humains ou animaux, perpétré au nom d'une idée ou d'une croyance, sacrifice que l'on pourra qualifier de gratuit, si tant est que l'on refuse l'argument issu de croyances religieuses. Il n'y a évidemment rien de tel dans le cas des animaux que nous tuons pour fins de subsistance.


Ce genre d'inflation verbale accompagne désormais trop souvent un certain discours à la mode qui tend à quitter ses bases légitimes pour se transformer en idéologie galopante et agressive. On a tout à fait le droit de refuser d'être carnivore, mais cela ne confère pas celui d'accuser plus ou moins explicitement ceux qui le sont de perpétrer des meurtres gratuits. Parler d'«holocauste» pour désigner l'acte d'élever des bêtes et de les tuer afin de les manger appartient à ce type d'agression.


Certains défenseurs de l'une ou l'autre forme de végétarisme donnent l'impression d'occulter le fait que le monde tel que nous le connaissons exige de chaque vivant qu'il violente son environnement afin de subsister. Cette violence - toute naturelle, il importe de l'admettre - montre divers degrés mais n'est jamais remise en cause quant à son principe. On pourra dire que le monde est mal fait et joindre notre voix à celle de Diogène le Cynique, lequel, se masturbant en public, disait quelque chose comme: «Ah! S'il était aussi facile de me nourrir que de me faire jouir»; ça ne changera malheureusement pas le fait que notre écosystème a comme principe premier la prédation (2).


La résurgence de ce mouvement qui prétend protéger les animaux semble montrer, aujourd'hui comme hier, le même aveuglement. À l'exception de quelques cas historiques, philosophique ou religieux (3), le noyau de défenseurs de ces idées semble surtout composé de citadins bien nourris qui n'ont, avec la nature, que des rapports de villégiature. Ces gens oublient que ces animaux qu'ils veulent protéger n'existeraient pas si on ne les avait pas «produits» à des fins de subsistance. Ils passent outre également à la prise de conscience grandissante des éleveurs qui les mène à modifier leurs pratiques afin d'assurer aux animaux qu'ils produisent une existence exempte de souffrances inutiles. Cette prise de conscience peut être dite insuffisante; elle mérite pourtant d'être encouragée plutôt que d'être confondue avec l'abattoir industrialisé.


À ressentir la violence que certains herbivores mettent à dénoncer les carnivores, il y a fort à craindre que nous assistions à la naissance de l'«alimentarisme», un mode de discrimination basée sur le régime alimentaire. Verrons-nous des appartements ou des emplois réservés aux végétariens? Chose certaine, il semble qu'il y ait d'ores et déjà plusieurs «alimentaristes».


(1) M. Ombasic, «Vigilance et clarté», sur l'ouvrage de Claire Varin, Animalis, Léméac, Le Devoir, 9/10 février 2019.


(2) On notera que l'arrachement des végétaux à leur terreau provoque chez eux des réactions physicochimiques qui s'apparentent à ce que nous appelons «douleur». Le végétarisme n'échappe donc à cette triste règle que d'une manière quantitative.


(3) Pour l'essentiel, le jaïnisme hindoue et sa nébuleuse.

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