Quels chemins mènent à la sérénité? L'équanimité de l'âme, l'ataraxie? L'homme, conscient de lui-même, est un grand tourmenté. On oublie trop souvent que l'aspect primordial de ce trouble n'est pas la conscience elle-même mais plutôt l'une de ses caractéristiques, la conscience du temps. Remords, souvenirs, regret et mélancolie d'un côté, appréhensions, anxiété, angoisse et hâte de l'autre. Dans tous les cas il s'absente de l'instant et se projette dans une réalité qui le scinde. Il est constamment hors de lui.
La sérénité consiste-t-elle à éviter ces «sorties» de soi? Cela semble impossible sans renoncer à ce que nous sommes. D'abord, conscience de soi et conscience du temps sont inséparables. Prendre conscience de soi consiste à se voir, or il y va, dans cette pratique, d'une stase nécessaire. Pour me voir, je dois suspendre le temps de mon organisme, je dois adopter une position stable, fixe, alors que le temps est pure fluidité. Prendre conscience de soi c'est jouer avec le temps et, du même coup, en prendre conscience. Car dès que, arrêté, je m'aperçois, surgissent simultanément les moments d'où je viens et ceux vers lesquels je tends. Ces moments ne sont jamais neutres. Ils versent aussitôt dans l'une ou l'autre des catégories troublantes. Pas de sérénité.
Épicure, les Stoïciens et bien d'autres ont examiné la chose. Si l'on en croit, par exemple, la Lettre à Ménécée, le problème pourrait être réglé en deux coups de cuillère à pot: inutile de s'en faire avec le passé, puisqu'on ne peut rien y changer, et tout aussi vain est-il de se préoccuper de l'avenir, qui n'existe pas. Pour leur part, les Stoïciens adoptaient une position semblable, quoique peut-être un peu moins «psychologique»: le trouble de l'âme découle d'une non conformité avec le Tout. L'amor fati est la solution. (Ou le «Grand Oui» de Nietzsche, qui n'a pas fait là oeuvre révolutionnaire.)
Solutions simplistes, presque ridicules et, surtout, fondamentalement aliénantes. Car dans tous les cas il faut renoncer à ce que nous sommes pour être ce que l'on cherche et que l'on n'est pas! Cercles vicieux.
La sérénité est-elle impossible? Pourtant, elle surgit parfois, comme d'elle-même. Mais n'est-ce pas là justement ce qu'il y a de plus troublant?
Comentários