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  • Yvon Corbeil

(IG) Sur le métier de philosophe


On peut croire que ceux qui aspirent à devenir «philosophes» (patentés s'entend) et, effectivement, le deviennent, ont été happés, jeunes, par les «grandes questions», lesquelles, notons-le, se terminent toutes par «...-je».


Mais la pratique de ce métier - comme pour tout autre métier -, si elle requiert quelques aptitudes, exige aussi le développement d'habiletés et de techniques spécifiques. En l'occurrence, pour le philosophe, ces habiletés et techniques ressortissent à l'art que l'on déploie dans les jeux de constructions. À partir de petites briques, que l'on appelle Lego, ou concepts, ou Idées, ou prénotions, ou sensations (ça dépend de la marque du constructeur que l'on choisit...), on échafaude une structure dont la caractéristique première doit être qu'elle se tient debout toute seule. Parti dans l'idée de répondre aux «grandes questions», le philosophe se retrouve bientôt aux prises avec de stricts problèmes d'ingénierie, lesquels problèmes deviennent rapidement l'unique raison de la poursuite de sa quête. S'il parvient à faire tenir sa construction, il y a belle lurette que la question initiale se trouve enterrée dans ses fondations, et bien illuminé sera celui qui continue de croire que cela lui répond.


C'est ainsi qu'il faut entendre l'histoire de la métaphysique. Héritée de Platon - qui ne fut sûrement pas le premier à la pratiquer -, elle dure jusqu'à tard dans l'histoire occidentale. Mais ne dit-on pas qu'elle est finie, dépassée? Comment entend-on ce «dépassement»?


La fin des «systèmes» consiste en fait en une prise de conscience de la vacuité de tout système construit, autre que sa propre cohérence interne. Le «système» philosophique peut-être beau, comme l'est une oeuvre d'art. Mais il n'assume en rien la tâche dont il prétendait s'acquitter au départ. À partir de là, deux choses.


1- Le philosophe «post-métaphysicien» tente d'éviter le «piège» de la construction systémique, généralement en travaillant par bribes (à la Nietzsche), ou grâce à l'écriture semi-automatique (à la Heidegger II...). Cela donne quelques éclairs de génie et de nombreuses contradictions (Nietzsche), ou bien quelques explosions conceptuelles, dont les débris sont à recollés par le seul lecteur, qui suivra pour ce faire sa propre inspiration. (Ou cela donne du tartinage égoïque à la mode de Cioran et de tous ses émules.)


2- Mais qu'est-il advenu des «questions» initiales, et pourquoi le système ne peut-il y répondre? L'esprit de système naît du simple usage de la raison, plus exactement de l'accroissement de cet usage. Les choses sont d'abord rencontrées comme individualisées. Par la suite, ces individus sont, d'un côté, regroupés en catégories, et de l'autre, découpés en plus petites individualités. Toutes ces unités entretenant des rapport entre elles, l'idée vient, rapidement, qu'elles appartiennent toutes à un vaste ensemble. Et puisque cet ensemble est «un», il doit avoir des règles qui valent pour lui et qui, par le fait, valent pour tous. Ce qui sera «vrai» pour l'ensemble le sera nécessairement aussi pour les parties. La prétention du philosophe consiste donc à dévoiler l'architectonique de la réalité.


Si la raison fonctionne de la sorte, c'est qu'elle est entièrement soumise aux règles prescrites par l'existence des entités matérielles rencontrées dans la nature. Le paramétrage a priori des entités rencontrées sous forme de «corps» qui obéissent à une certaine manière d'être de l'espace et du temps fournit progressivement une conception de l'espace/temps qui mène à l'idée d'une réalité globale qui s'exprime en espace et en temps. Cet oméga de la pensée oublie trop souvent qu'il en est d'abord l'alpha. C'est parce que nous pensons selon les règles de l'espace/temps que nous croyons, à la fin, que tout n'est qu'espace/temps.


Or, celui qui demande «Qui suis-je?» est également celui qui pense l'espace/temps et, pour lui, la question dépasse nécessairement ce qu'il pense, puisqu'il la pense. Au lieu de s'adresser à l'ensemble de la «réalité» qu'il observe, il tente de s'adresser à l'observateur, qui n'est pas espace/temps puisqu'il les pense. Partant, il est impossible qu'un système philosophique construit, quel qu'il soit, réponde aux «grandes questions». La construction peut bien intégrer le «tout», elle n'intègre jamais le constructeur, alors que c'est justement ce qu'il pensait faire au départ.


Et puisqu'elle (la construction) n'intègre pas le constructeur, c'est dire qu'elle n'intègre justement pas «tout». Dès lors, tout «système» philosophique souffre d'un vice tout à fait rédhibitoire.


Fait-on mieux avec les bribes ou les élucubrations post-métaphysiques? Non pas, car ces efforts ne réalisent en fait que des micro-systèmes qui souffrent du même défaut: l'observateur qui les fréquente n'en fait toujours pas partie et continue encore et toujours d'agiter ses «grandes questions».

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