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  • Yvon Corbeil

(IG) Du côté de chez Kant


Parmi tous les philosophes que j'ai croisé, Kant reste celui qui m'a le plus marqué et avec lequel j'ai eu le plus de plaisir à discuter.


Lorsqu'il résolut (au moins selon la manière dont le problème se posait à l'époque) le vieux problème de l'opposition entre idéalisme et empirisme, il fixa, pour longtemps, les limites de la raison et son rapport à l'expérience sensible d'une façon qui, encore aujourd'hui, m'apparaît comme étant la plus juste.


Ce rapport montre essentiellement que la réalité sensible ne s'offre pas à nous telle qu'elle est, mais plutôt qu'elle n'apparaît que sous les paramètres fixés par la raison. La nature se cache. Elle n'apparaît que pour répondre à nos questions, et elle le fait d'une manière laconique. Pour reprendre les termes de Kant, l'objet est construit et la «chose en soi» inconnaissable. (Soit dit en passant, à cet égard Heidegger n'inventera pas grand-chose avec ses histoires d'«aletheia» ou de «retrait de l'être».)


Mais contrairement à quelques-uns de ses épigones, Kant n'ira jamais jusqu'à penser le destin de la raison comme étant le déterminant universel qui permettrait à l'homme, son dépositaire, de tout embrasser (Hegel). À partir de la Critique de la raison pratique, puis de celle de juger, il va plutôt tenter de montrer que là où s'arrêtent les prétentions de la raison il reste beaucoup de choses, il reste l'essentiel (à moins que l'on ne conçoive l'essentiel qu'en termes de connaissance de la nature).


Qu'il s'agisse des «Idées» de la raison ou de l'analyse du jugement esthétique, Kant va composer avec ce qui apparaît comme la clé de ce «reste»: la liberté. Montrant avec force détails comment fonctionne cette liberté, jamais il ne la referme, ce qui aurait pour conséquence contradictoire de la nier. Les «Idées» - Dieu, immortalité de l'âme... - n'ont pas de définitions et celles-ci ne viendront pas de l'analyse du fonctionnement de la liberté. Et ce qui vaut pour ces «Idées» vaut aussi pour le Beau.


Mais c'est probablement dans le domaine des valeurs morales que la réflexion de Kant est à la fois la plus décisive et la plus utile. Bien qu'il ait été tenté de reprendre au moins en partie la thèse platonicienne de l'unicité des vertus (1), ses analyses montreront plutôt que, la valeur ne s'objectivant pas, elle ne pourra jamais se constituer en concept clair, permettant que l'on en tire une définition stable (cf. Théorie des jugements). La valeur reste soumise à notre liberté, et l'exigence rationnelle doit alors se contenter de promulguer l'impératif catégorique. Nous pouvons définir les valeurs librement, mais nous devons le faire comme si cette définition était la bonne.


Peu importe comment on pose le problème, cette façon de penser le rapport raison/liberté en ce qui a trait à la détermination des valeurs reste indépassable. Elle culmine dans la notion du devoir, laquelle, à son tour, illustre parfaitement comment, chez l'homme, se réalise et doit se réaliser le pouvoir d'agir librement en fonction de valeurs morales, tout en n'usant pas de cette liberté pour l'aliéner, en la remettant au service de l'instinct et de la volonté de conservation.


(1) Le Bien est toujours Un, de sorte que si chaque valeur représente le bien dans un domaine particulier, la somme de ces valeurs le désignerait. C'est la vieille idée de Platon. Si cette thèse a du sens en théorie, dans le champ pratique elle souffre de contradictions indépassables. Si l'on veut être simultanément bon et juste, il nous faut une définition de chacune de ces valeurs qui ne tiendra pas dans tous les contextes. Cette unicité des vertus est en fait un idéal projeté qui s'expérimente sous forme de devoir être. Si je veux être juste, je ne peux vouloir en même temps être fourbe ou cupide. Ma volonté d'agir pour le bien traverse tous les cas particuliers. Mais sur le terrain, elle épousera des formes variées et m'obligera souvent à modifier ma définition de telle ou telle valeur particulière.

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